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Apparence et ressemblance dans le Parménide : les limites de l’image. (Dialectique de l’apparence et aporie de la ressemblance)

 

Le Parménide présente, dans ses deux dernières hypothèses (plus précisément, dans ses deux dernières « séries de déductions » : 164b5-165e1, 165e2-166c2) un usage systématique des termes d’apparaître (phainesthai) ou d’apparence (phantasma). On étudiera ici le sens et le statut propre à cet usage, qui semble, chez Platon, tout à fait singulier (la singularité s’expliquant en grande partie par la dimension dialectique du raisonnement).

 

I/ La signification de cet apparaître semble à première vue irréductible à d’autres emplois platoniciens du registre du phainesthai. On étudiera donc la spécificité de la relation entre être et apparaître dans le cas précis du jeu dialectique des hypothèses.

Cependant, la question se pose aussi de savoir dans quelle mesure les développements sur ce qu’est l’apparence à la fin du Parménide peuvent être éclairés par d’autres dialogues, où Platon évoque, sur la même question de l’apparence, des pensées étrangères à la sienne propre, dans une perspective non plus dialectique mais plutôt métaphysique et doxographique.

 

II/ Le deuxième aspect de cette réflexion sera d’examiner ce développement sur l’apparaître, à la toute fin du dialogue, en relation à l’ensemble du Parménide, c’est-à-dire plus précisément en prenant cette fois en considération la première partie du dialogue, et en particulier la critique bien connue qu’adresse le vieux Parménide à la thèse de la participation par ressemblance (132c12-133a7 ; voir 132d1-4). Nous examinerons alors comment les deux dernières séries de déductions présentent une difficulté fondamentale pour l’idée de semblance et de représentation, qui fait écho à la difficulté (« aporia », 133b1), dans la première partie du dialogue, de la thèse des Formes et en particulier à la difficulté qui était attachée à la participation par ressemblance. Nous étudierons donc comment la fin du dialogue permet d’apporter à l’aporia propre à la ressemblance, développée dans la première partie, des éléments plus complets de compréhension.

 

Dans les deux dernières séries de déductions, il s’agit de savoir, « s’il n’y a pas d’un », ce qu’il advient aux «  autres » (ta alla). Or, répondre à cette question suscite immédiatement, pour Parménide, la nécessité de substituer le registre de l’apparaître à celui de l’être.

Dans l’avant-dernière série en effet, on tire de l’hypothèse « si l’un n’est pas »  des conclusions qui ne peuvent pas être formulées en termes d’existence ou de réalité. La négation de l’un aboutit ici à l’impossibilité de penser, pour les « autres », une consistance déterminée et définie. Aussi les caractères susceptibles de leur être attachés ne peuvent-ils pas être considérés comme dotés d’une réalité minimale. Ils seront seulement le mode sur lequel les choses autres que l’Un se présentent ou sont perçues : les « autres », répète Parménide, « apparaissent » tels ou tels. Toutes les qualités relèvent donc d’une pure semblance ou d’une forme de représentation imaginaire, comme en un « rêve nocturne » (164d2).

En quoi consiste exactement ce « sembler » : s’agit-il de ce qui semble à l’esprit, ou d’un phénomène que l’on peut apparenter au phénomène sensible ? Ou bien d’autre chose encore ? (voir l’emploi de noeô en 165c1-2 : egguthen de kai oxu nooûnti : « à celui qui regarde de près et qui a un regard perçant »[1]).

Quoi qu’il en soit, la négation de l’Un a pour corrélat dialectique une forme de réalité paradoxale, à la fois amoindrie et d’un autre ordre que l’être, que Platon pense en usant du registre lexical du « phainesthai ».

 

Quant à la tout dernière série de déduction, elle tire, de l’absence d’un, des conséquences qui interdisent même de faire subsister, ne serait-ce qu’à titre de résultat dialectique, cette forme de réalité, pourtant aussi réduite que possible, que serait l’apparaître. En l’absence d’un, il faut aller encore en deçà de cette réalité minimale de l’apparence : il faut affirmer qu’il n’y a rien. Rien ne peut être dit de quelque objet que ce soit. Cette dernière série de déductions souligne que l’apparaître semble ici pensé comme une limite entre l’être et le pur néant.

Le contexte théorique où le registre de l’apparence est mobilisé est tout à fait singulier : il ne s’agit en effet ni d’esthétique, ni du registre usuel de l’illusion sensible, ni de la doxa, ni enfin de la description d’un donné empirique par opposition à une ousia intelligible. On recherchera quel statut cet « apparaître » peut revêtir dans l’économie platonicienne de la pensée de l’être et de l’un. On examinera pour ce faire la possibilité de trouver, dans d’autres dialogues, en particulier dans le Cratyle et le Théétète, l’évocation d’une forme de réalité en quelque sorte phénoménale, qui serait du même ordre.

 

 

Mais la question de l’apparaître devra donc aussi être examinée selon notre deuxième perspective : son rapport de complémentarité ou d’opposition à la critique fameuse que Parménide adressait, dans la première partie du dialogue, à l’idée d’une participation par ressemblance.

La critique portait sur la possibilité d’une relation entre une chose et un eidos, considéré comme son paradeigma (132c12-133a7). Il nous semble possible de soutenir clairement que la critique de Parménide ne doit pas être lue comme une réfutation, mais comme l’exposé d’une difficulté, qui est susceptible d’être résolue. La question est alors : pouvons-nous trouver dans le Parménide, ou dans d’autres Dialogues, avant ou après le Parménide, des  éléments de réponse aux difficultés soulevées par le vieux Parménide ?

 

Il s’agira donc de faire apparaître ici comment la question de la semblance donne lieu dans le Parménide à deux perspectives et à deux types de difficultés :

a/ Platon dégage les conditions de possibilités et les difficultés propres à l’affirmation d’une relation de ressemblance, cela dans la problématique et la perspective de l’eidos et de la participation à l’eidos, d’une part ;

et b/ il met aussi en évidence les conditions de possibilités et les difficultés propres à l’affirmation d’une semblance, sans relation de ressemblance à un modèle, cela dans la problématique et la perspective de l’un et de la conséquence de sa négation, d’autre part.

 

Platon donne donc, à la toute fin du Parménide, une forme de représentation dialectique d’un objet paradoxal, puisqu’il constitue une sorte de réalité sans être, un apparaître sans référent, sans substrat et sans modèle.  Or cette représentation dialectique vient compléter le questionnement critique que la première partie du dialogue avait déjà élaboré au sujet de l’image. Il importe alors d’étudier de quelle façon ce développement portant sur l’apparence dans la seconde partie du Parménide permet de réexaminer et  de clarifier les difficultés (et la nécessité)  que la première partie du dialogue attachait à  la participation par ressemblance.

 

Appearance and Likeness in the Parmenides: borderline conceptions of image. (Dialectic of Appearance and aporia of Likeness)

In the Parmenides, the two final ‘hypotheses’ (or the two final ‘series of deductions’: 164b5-165e1, 165e2-166c2) present an important use of the notion of appearing (phainesthai) and appearance (phantasma). The usage seems most unusual and can be explained by the dialectical nature of the reasoning. My purpose will be to analyse what the concept of appearing means within the economy of the dialogue.

I/ The way in which the idea of appearance is brought out by Parmenides seems at first sight completely irreducible to other usages of phainesthai adopted by Plato. Therefore, the specificity of the relationship between being and appearing will be analysed in the precise case of dialectical play of hypotheses.

Nonetheless, the question will also need to be asked as to how far the developments of what appearing signifies at the end of the Parmenides, can be elucidated by developments on appearance in other dialogues, where Plato evokes thinking foreign to his own philosophy, in a perspective that is no longer dialectical but metaphysical and doxographical.

 

II/ The second aspect of our analysis will examine this passage concerning appearing, at the end of the dialogue, in relation to the Parmenides as a whole: i.e. more precisely by taking into consideration, this time, the first part of the dialogue, and in particular Parmenides’ well known criticism of the metexis conceived as likeness (132c12-133a7 ; see 132d1-4). We will then examine how the last two series of deductions present a fundamental difficulty for the idea of semblance and representation, which echoes to the difficulty (“aporia“, 133b1) attached to likeness. We will therefore study how the end of the Parmenides makes it possible to bring more complete elements of understanding to this aporia of likeness, developed in the first part of the dialogue.

The last two series of deductions deal with knowing what happens to  “the others” (ta alla), if there is no One. And in order to answer this question, Parmenides replaces the register of being by the register of appearing.

In the penultimate series of deductions, the conclusions (about “the  others”), that Parmenides draws from the hypothesis “if one is not”, cannot be formulated in terms of existence or reality. Here, the negation of the one first precludes thinking what a set and defined consistency for the “others” might be. Further, characters likely to be attached to these “others” cannot be considered as being endowed with a minimal reality; they are only the way “things other than the One” are presented or perceived; the “others”, Parmenides repeats, “appear” like this or that. All the qualities are, then, posited as being purely a semblance or a form of imaginary representation, as in a “nocturnal dream” (164d2).

An analysis of “semblance” is needed: does it refer to what seems to the mind or to a sensible phenomenon? Or something else again? (see the use of noeô at 165c1-2: egguthen de kai oxu nooûnti: “to closer and keener inspection“).

Anyway, for its dialectical corollary, the negation of the One requires a paradoxical form of reality, both diminished and of another order than being, that Plato can only name by using the notion and lexical range of “phainesthai“.

The final series of deductions, right at the end of the dialogue, deduces the consequences of the absence of one which, if only as a dialectical result, prevent even the existence of that form of reality (as tenuous as possible) that appearing would be. In the absence of one, it is necessary to go even beyond this minimal reality of appearance, and assert that there is nothing.  Nothing can at all be said about any object. The last series of deductions underlines the fact that the appearing has to be thought of as an intermediary form, or a borderline between being and pure nothingness.

The theoretical context in which the register of appearing arises here is most unusual: it concerns neither aesthetics, nor the usual register of sensible illusion, nor opinion (doxa), nor even the description of empirical data as opposed to intelligible ousia. I will, then, investigate the meaning and status that can be attributed to this occurrence of “appearing” within the Platonic thinking on being and one. In order to do this, other Platonic dialogues (especially the Cratylus and the Theaetetus) will be examined with a view to finding, if possible, references to a form of reality, somehow phenomenal in nature, of the same order.

 

But the question of  appearing will therefore also be examined from our second  point of view: its relationship (of complementarity or opposition) to Parmenides’ famous criticism, in the first part of the dialogue. The criticism was about the possibility of a relationship between a thing and an eidos, considered as its paradeigma (132c12-133a7). Our point is, first, that Parmenides’ criticism of the likeness-relationship between a thing and a Form should not be read as a refutation, but as difficulties that might be resolved. And the question therefore is : can we find in the Parmenides, or in others Dialogues, before or after the Parmenides, platonic answers to the difficulties raised by the elder Parmenides ?

I will therefore examine the way in which the question of semblance gives rise in the Parmenides to two theoretical perspectives and two types of difficulty:

a/ on the one hand, Plato analyses the conditions for possibilities and difficulties involved in asserting a relationship of likeness, within the problem and the perspective of the eidos and partaking of the eidos;

b/ and on the other hand, Plato highlights the conditions for possibilities and difficulties involved in asserting a semblance, with no relationship of likeness to a model, within the problem and perspective of the one and the consequence of its negation.

Plato, therefore, in the passage right at the end of the Parmenides, dialectically represents an extremely paradoxical object which might constitute a sort of reality without being, an appearing without referent, substrate or model. That dialectic approach completes the critical analysis that related to the possibility of the likeness in the first part of the dialogue.

Then it will be useful to examine, furthermore, in what way the development about appearance, in the second part of the Parmenides, helps to focus and re-emphazises the difficulties and the necessity of the likeness-participation raised by the first part of the dialogue.

[1] Trad. L. Brisson (Platon. Parménide, Paris, Flammarion, 19992 ,19941).

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