L’Institut d’histoire de la philosophie (EA 3276) de l’université d’Aix-Marseille l’International Plato Society – Mediterranean Section, le Centre d’études sur la pensée antique «  kairos kai logos », ont organisé en collaboration avec le Département de philosophie de l’université d’Aix-Marseille, le Dipartimento di scienze del patrimonio culturale  (beni e attività culturali, filosofia, fonti e testi, territorio) dell’Università degli Studi di Salerno, le Dipartimento di filosofia dell’Università degli Studi di Roma-La Sapienza, le Dipartimento di filologia, letteratura e linguistica dell’Università di Pisa, avec le soutien du Conseil général du Département des Bouches-du-Rhône et de la Communauté du Pays d’Aix et avec le concours du Musée Granet d’Aix-en-Provence, un colloque international de philosophie ancienne sur le thème : « La vérité : Platon et les sophistes ».

Le colloque s’est tenu les vendredi 9 et samedi 10 octobre à la Faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines, Maison de la Recherche, Bâtiment Multimédia, Salle des colloques, et le dimanche 11 octobre dans l’auditorium du Musée Granet, généreusement mis à disposition du colloque pour l’occasion.

Le colloque a réuni 32 conférenciers représentant le pourtour méditerranéen de la Tunisie à la Turquie en passant par l’Europe méditerranéenne, ainsi que certains intervenants des langues affines aux langues du colloque. Les langues du colloque étaient le français, l’espagnol, l’italien et l’anglais. Les pays représentés ont été, l’Espagne, l’Italie, la France, la Tunisie, la Turquie, la Belgique et le Danemark. Il a accueilli 4 conférences plénières (Tomas Calvo

[Espagne] conférence d’ouverture, Giovanni Casertano [Italie], Luc Brisson [France], Mario Vegetti [Italie] conférence de clôture) et deux tables rondes. Outre les meilleurs spécialistes de la question du pourtour méditerranéen, le colloque a accueilli les communications d’une douzaine de jeunes et prometteurs chercheurs, doctorants ou néo-docteurs. Etaient représentées dans l’ordre chronologique des interventions les universités de Madrid, Rome, Pavie, Naples, Pérouse, Padoue, Copenhague, Bruxelles, Macerata, Naples, Nice, Cagliari, Gênes, Montpellier, Pise, Barcelone ; Istanbul, Valence, Coimbra, Sfax, Tunis, Villejuif-Paris (CNRS), Milan et Bari, ainsi que le Lycée d’Annecy et le Lycée militaire d’Aix-en-Provence.

Le colloque a connu un très vif succès avec un nombre d’auditeurs important, environ 130 à 150 auditeurs en flux, pour la durée du colloque. Il était composé d’universitaires et de chercheurs, de professeurs de l’enseignement secondaire, de doctorants et de néo-docteurs, d’étudiants principalement de Master et de Licence, ainsi que d’amateurs de la philosophie ancienne venant de la société civile. C’est là le résultat de l’intérêt scientifique de la manifestation qui a permis de faire le point, à une époque de remise en question de la vérité, de l’apport de la réflexion de la philosophie ancienne sur cette question.

La « sophistique » représente pour Platon un des défis les plus importants qu’il doit affronter pour pouvoir construire son propre discours philosophique. Le caractère subjectif, relatif, pragmatique de la vérité que les sophistes revendiquent semble s’opposer radicalement à l’exigence de stabilité et d’objectivité qui, selon Platon, doit caractériser le discours vrai. Et, de fait, les dialogues de Platon mettent en scène et sont caractérisés par des confrontations radicales entre le personnage de Socrate et les grands protagonistes du mouvement sophistique : Protagoras, Gorgias, Hippias, Thrasymaque et, de manière moins frontale, Prodicos. La polémique socratique concerne à la fois les aspects éthiques et les aspects gnoséologiques. Pour Platon, nombre de points des doctrines professées par les sophistes sont inacceptables : le relativisme gnoséologique proposé par le principe de l’homme-mesure qui ouvre l’écrit de Protagoras intitulé la Vérité est tout aussi inacceptable pour Platon que l’indifférence à l’égard de la vérité proclamée en termes rhétoriques par Gorgias et ses disciples, que le recours au droit naturel du plus fort dans la Vérité d’Antiphon (cf. Gagarin 2002, Bonazzi 2006), ou encore que la réduction du savoir à une forme de l’érudition telle que la professe le polymathe Hippias. Il n’en reste pas moins que c’est cette polémique antisophistique qui constitue en quelque sorte la base sur laquelle vont pouvoir et s’établir les fondations de l’édifice platonicien et se constituer le fondement de la notion platonicienne de philosophie. La figure du philosophe semble prendre forme dans les pages de Platon comme une antithèse de celle du sophiste. Mais si on y regarde de plus près, on s’aperçoit, comme l’a d’ailleurs mis en évidence la critique la plus récente, que la contribution de la sophistique à la formation de la philosophie de Platon est autrement plus importante. L’importance de la dette de Platon à l’égard des sophistes est un champ d’étude qui demeure encore en grande partie à explorer. En effet, Platon reprend aux sophistes un grand nombre de problématiques philosophiques, d’instruments argumentatifs, de méthodes de discussion et de formes de transmission du savoir philosophique. Si, en apparence, la vérité des sophistes et celle de Platon semblent antinomiques et s’opposer radicalement dans une antithèse entre une vérité relative, instable, incertaine, subjective et une vérité univoque, stable et objective, il est un point où les deux vérités convergent, c’est qu’elles trouvent leur fondement dans le domaine du logos. Si Gorgias, dans son traité Sur le non-être, établit l’autonomie du logos par rapport à la réalité ou si Protagoras fait émerger la vérité à partir de l’opposition entre un logos plus faible et un logos plus fort, Platon, dans le Phédon, avec la métaphore de la « seconde navigation » établit clairement que le logos, malgré toutes ses limites, est le seul instrument dont l’homme dispose pour parvenir à la vérité. Vérité sophistique et vérité platonicienne sont donc contraintes à une vie commune sous le signe du logos, logos qui, pour les sophistes, est certes encore profondément enraciné dans les contradictions de la réalité sensible cependant que, pour Platon, il est prêt à s’élever vers des réalités idéales. À partir de cet inventaire, le colloque d’Aix-en-Provence se proposait de développer plusieurs axes de recherche: 1. l’étude de la notion de vérité chez les sophistes et chez Platon ; 2. l’étude du rapport entre vérité et discours chez les sophistes et chez Platon ; 3. l’étude du rôle de la figure du sophiste dans la définition platonicienne de la philosophie ; 4. l’analyse du problème de la vérité dans la sphère politique dans la confrontation entre les sophistes et Platon.

On peut sans conteste dire que le colloque a rempli pleinement son objectif en examinant de manière précise et dans le cadre d’une haute investigation scientifique les discours de vérité tels qu’ils se présentent chez les sophistes et chez Platon. A travers l’étude des sophistes Gorgias, Protagoras, Prodicos, Hippias, Thrasymaque, des dialogues de Platon (Sophiste, Apologie de Socrate, Phèdre, Gorgias, Théétète, Criton, Hippias mineur, etc.), des rhéteurs Aelius Aristide et Evenos de Paros, le colloque a pu mettre en relation « Défi sophistique et projets de vérité chez Platon », pour reprendre le titre de la conférence de clôture.

Les chercheurs réunis à l’occasion de ce colloque travaillent pour grand nombre d’entre eux depuis longtemps sur le thème de la rationalité dans la pensée de Platon et plus particulièrement sur le thème de la mise en place et du développement de la notion de philosophie chez cet auteur, sur son statut et sa fonction, tant d’un point de vue théorétique que d’un point de vue pratique et politique, thème qui revêt une importance significative dans le monde contemporain. La notion de philosophie apparaît chez Platon à travers une approche de la question dialectique en concurrence avec d’autres modèles d’activité intellectuelle, avec d’autres approches de la vérité, comme celles de la médecine, de la poésie et, d’une façon générale, celles mises en place par les activités technique. Mais la figure du philosophe se construit principalement chez Platon à travers une confrontation qui est aussi une rencontre avec la figure du sophiste.

A la lumière de la réhabilitation contemporaine de la sophistique, qui a permis, en écartant tout préjugé, de mieux comprendre ce phénomène et sa portée philosophique, il était temps de proposer sur de nouvelles bases une réflexion sur le rapport entre Platon et la sophistique. Si, dans le dialogues de Platon, la présence d’une polémique très forte est évidente, et si c’est bien de cette confrontation et de cette rencontre qu’émerge la figure du philosophe telle que nous la connaissons, il était opportun de se demander ce que le vainqueur de cette joute (Platon) intègre de celui qu’il a défait (le sophiste), et quels aspects de la sophistique viennent alimenter le nouveau champ disciplinaire ouvert par Platon sous le nom de philosophie. Pour répondre à cette question l’étude de la notion de vérité a paru être l’un des champs les plus fertiles, tant cette notion est fondamentale pour la philosophie comme pour la sophistique, et c’est ce que le colloque a montré. Ce sont les limites épistémologiques mises en évidence par les sophistes quant à la possibilité pour l’homme d’atteindre une vérité stable qui contraignent Platon à chercher une vérité non pas à partir des choses, mais à travers des logoi, non pas dans le domaine du sensible mais dans le domaine intellectuel. Et c’est précisément l’importance du logos qui constitue le fonds commun de la vérité des sophistes et de celle de Platon, et qui permet d’intégrer la figure du sophiste dans celle du philosophe.

L’un des résultats les plus remarquables du colloque a été la prise en considération des effets que la sophistique a produits sur la pensée de Platon et continue, à travers lui, de produire sur la pensée philosophique et sur les conceptions du langage, de la politique et de la culture les plus contemporaines, effets encore sur l’élaboration théorique de doctrines centrées sur l’efficace et orientées par des procédures de langage relevant de la persuasion, effets, finalement, sur la réception même des œuvres, tant des sophistes que de Platon.

Les séances des conférences plénières ont été intercalées avec des conférences de spécialistes renommés et de chercheurs confirmés ainsi qu’avec des communications de jeunes chercheurs, doctorants et néo-docteurs qui ont permis de mettre en évidence l’intérêt que suscite la philosophie ancienne dans les jeunes générations et l’apport de celles-ci à la connaissance scientifique.